A Gnith, dans le département de Dagana, la vie est presque régulée par le Lac de Guiers. Les activités principales tournent aux abords de ce cours d’eau. De l’horticulture à la pisciculture en passant par la pêche, le lac est d’une importance vitale pour les habitants de Gnith.
Le Lac de Guiers est pour les habitants de Gnith ce que le Nil est pour les Egyptiens. La célébrité de la localité vient de cet écosystème. C’est peut-être l’aspect le moins important. Cela n’intéresse pas trop les habitants comme Assane Guèye qui prend de l’air à l’ombre d’un acacia, à quelques centaines de mètres d’une des rives. « Contrairement à d’autres villages de la zone, à Gnith nous souffrons moins de chaleur. Depuis notre naissance jusqu’à nos jours, il y a beaucoup de gens qui ont amassé des revenus grâce aux activités liées directement ou indirectement au lac », dévoile A. Guèye. Presque tout part et revient au lac.
« Si c’est une zone de production maraîchère telle que la patate, l’oignon, l’aubergine, c’est grâce à la disponibilité de l’eau même si, actuellement, nous notons parfois que l’eau est un peu salée », souligne un ancien saisonnier, qui a fini par élire domicile dans ce village. Les habitants de Gnith qui sont nés et qui ont grandi aux bords de ce cours d’eau ont une relation particulière avec le Lac de Guiers. Les rivages sont aménagés. Plusieurs habitants y pratiquent le maraîchage, d’autres y pêchent du poisson. Des légumes, des fruits, tout est cultivé aux abords du lac. Le vieux Cheikh Gaye, du haut de ses 60 ans, exploite un jardin sur les berges du Lac de Guiers à quelques mètres de l’usine de pompage et de production d’eau. Il a aménagé son jardin appelé affectueusement « Barcelone » pour y produire plusieurs fruits et légumes. « Avant l’usine, nous buvions directement l’eau du lac, maintenant, nous l’utilisons pour l’horticulture et pourtant nous étions en très bonne santé. Maintenant ils disent que cette eau donne la bilharziose. Nous y pratiquons la pêche, qui nous rapporte beaucoup financièrement. Grâce au lac, nous produisons des mangues, de la patate, du piment et beaucoup d’autres légumes. Tout ce dont j’ai besoin, je peux le cultiver ici en fonction des saisons », nous apprend M. Gaye. Ce dernier a clôturé son exploitation avec des tiges de typhas où il a un bassin de pisciculture. Cela lui permet d’avoir du poisson à portée de main sans aller pêcher dans le lac. Très taquin, il nous lance souriant : « Je ne vais pas vous donner le secret de mon jardin car les autres vont me concurrencer après. Beaucoup de responsables de projet viennent me voir pour ça ».
En cette période de l’année, les exploitations maraîchères sont laissées au repos, les exploitants se tournent vers l’horticulture. A Gnith, la culture du mil et de l’arachide n’est pas développée ; elle est même délaissée. C’est l’horticulture qui nourrit bien son horticulteur. Les populations optent, pendant la saison des pluies, pour la culture de la pastèque qui est beaucoup plus rentable.
Peu de parcelles pour tous les exploitants
Un des voisins de Cheikh Gaye, Ousmane Fall, habitant de Gnith, nous confirme aussi que le lac est leur principale source de revenus avec l’agriculture. « Avant, nos ancêtres ne cultivaient qu’aux abords du lac. Maintenant, on a développé le maraîchage. Le barrage de Diama a joué un grand rôle en faisant que le lac ait un bon niveau d’eau toute l’année. Avant son installation en 1978, l’eau n’était disponible qu’une partie de l’année. Maintenant, pendant toute l’année, il y a de l’eau en abondance », affirme le quinquagénaire Ousmane Fall. Toutefois, ce dernier avance que la principale difficulté des habitants de Gnith est qu’avec l’augmentation de la population, tous ne peuvent pas avoir un lopin de terre au voisinage des berges du cours d’eau pour y cultiver. Compte tenu de cela, les populations de Gnith sollicitent ainsi la construction d’un canal d’irrigation pour acheminer l’eau vers les terres situées en hauteur. Ousmane Fall estime que cela constitue une grande demande de la population qui réclame des canaux d’irrigation. Les habitants veulent qu’à l’image de la vallée de l’Anambé et de celle du fleuve Sénégal, les abords du lac de Guiers soient aménagés pour accroître la production agricole de la zone, notamment l’horticulture. Tout au long de notre périple, sur la route, nous avons rencontré des charrettes et des véhicules chargés de sacs de patates produites dans la zone. Dans d’autres villages, la production est exposée sur la route en attendant l’arrivée des acheteurs.
Quant à Mor Ndiaye, habitant de Gnith, il reconnaît que les populations ont obtenu des adductions d’eau de l’usine, mais elles souhaitent la disponibilité des services 24 heures/24.
« La pression dans le village est très faible et en cas de forte présence humaine dans le village pendant les moments de fête ou les Gamou, il y a souvent un manque d’eau », a constaté Mor Ndiaye. Allant dans le même sens, Sidy Tabaane, habitant de Médina Gadoussabar, quartier des maures de Gnith, il regrette qu’en tant que voisin immédiat de l’usine qu’il n’ait pas une seule borne fontaine dans ledit quartier. Les branchements sociaux pour tous est une demande sociale à Gnith.
Le Lac de Guiers, une source de vie


Il faut se ceindre les reins. Le voyage sur Gnith, situé à 85 km de Louga, exige de l’endurance. Après avoir dépassé les premières localités à la sortie de Louga, la voiture zigzague entre les nids de poule qui parsèment l’asphalte. Après Keur Momar Sarr, le voyageur ne doit pas s’attendre une partie plus lisse. La route est par endroit décapée. Seuls les femmes ou les hommes qui sont derrière les chevaux ou des ânes qui tirent les semoirs atténuent la rigueur du trajet. La voiture suit la seule route qui conduit droit à l’usine. Il est inscrit sur le fronton : Usine de Gnith. L’équipe de reportage descend la pente et pousse un ouf de soulagement à la hauteur de la prise d’eau qui ressemble à un pont suspendu sur l’eau.
Sur les berges du lac, nous sommes étonnés et choqués de voir l’explosion du typha. Mais nous sommes enthousiastes de voir des espèces rares et guinéennes comme les tamariniers. Sans compter des plantes rampantes, la salade d’eau douce, les nénuphars. Une veille mère, à l’allure très frêle, marche à pas lourds ; elle se fraie un passage entre les clôtures et se penche sur une planche d’oseille. Elle extrait quelques feuilles et se relève. La dame s’est étonnée de notre présence, mais se montre disposée à nous parler. Le lac lui a tout donné et ce n’est pas elle qui ne se préoccupera pas de sa sauvegarde. « Le lac nous donne tout.
Auparavant, il y avait des Blancs qui venaient encadrer des femmes. Depuis plus de 30 ans, notre famille s’active dans le maraîchage », raconte Diné Guèye. L’étendue d’eau est source de vie depuis le fondement de cette localité. Malgré les menaces qui pèsent sur l’écosystème, la vie de beaucoup de ménages dépend du Lac de Guiers. « Il y a des familles de pêcheurs. Le lac favorise le développement du maraîchage et de l’élevage », corrobore Assane Dièye. Mais ce village est sur la carte hydraulique du Sénégal. Il tire sa célébrité de l’implantation de l’usine de production d’eau. C’était en 1971.
L’usine de Gnith et celles de Keur Momar Sarr 1 et 2 assurent 40% de la production d’eau pour Dakar. A Gnith, certains quartiers gardent encore leurs chaumières, c’est aussi un joyau architectural dans le domaine du génie civil de l’hydraulique. La beauté du site est aussi relevée par la prise d’eau qui se prolonge sur le Lac qui fait office d’un ponton… C’est par cette première prise d’eau dans le Lac de Guiers, bien avant Keur Momar Sarr, que le liquide précieux est pompé directement dans l’usine de traitement avant de rejoindre Dakar via les conduites de Gnith qui traversent le Walo, le Ndiambour, le Cayor pour arriver dans la zone de Dakar sur près de 285 kilomètres. A Gnith comme mieux qu’ailleurs, le Lac de Guiers, ce compagnon de toujours, étale toute sa beauté naturelle avec son éclat bleu, entouré par les hautes herbes, offrant ainsi un paysage magique aux étrangers. Les populations, comme pour mieux profiter de cette beauté, ont installé leurs habitations sur une pente sableuse qui offre tant bien que mal une vue sur l’écrin. Dans le village, on croise des calèches d’ânes d’habitants peulhs venus des villages environnants faire leurs courses. Gnith est le chef-lieu de la commune du même nom qui polarise 74 villages et hameaux.
A plus de 500 mètres de l’usine de traitement d’eau exploitée par la Sde pour la Sones, la place publique fait face à l’hôtel de ville. Des jeunes discutent passionnément de l’actualité et des dernières pluies qui « ont fait des dégâts à Dakar » en ce 23 août, sous une chaleur accablante malgré la brise du lac. De l’autre côté, des femmes devisent derrière leurs tables de légumes (choux, patates, aubergines) et leurs caisses de poisson d’eau douce.
Un forgeron rebelle, fondateur de Gnith
Le village de Gnith est très connu pour avoir accueilli la première usine de production d’eau afin d’approvisionner Dakar en liquide précieux. Ce village situé dans le département de Dagana serait fondé par un forgeron rebelle qui a défié le roi de Nder en refusant de payer les impôts.

Ici, tous vous recommandent de s’entretenir avec Cheikh Gaye pour apprendre de l’histoire de Gnith car c’est le spécialiste désigné. Nous l’avons trouvé, assis sur un tronc d’arbre près de l’hôtel de ville. Agé de 60 ans, le doyen Gaye partage avec sagesse l’histoire reçue de ses ancêtres. Le doyen Gaye souligne que d’après une version, Gnith a été fondé par un forgeron.
« Avant, il n’y avait rien ici. Les habitants étaient à Handa plus loin dans la brousse. Le forgeron fut le premier à s’installer sur le site de l’actuel village. Il avait juste installé sa hutte pour forger », affirme notre interlocuteur passionné par le sujet, avec un débit très rapide et usant de la gestuelle pour mieux nous convaincre.
A cette époque, le roi logeait à Nder (situé à 9 kilomètres de Gnith), mais il envoyait ses soldats faire des rondes dans les localités pour demander aux populations de payer le « Galak » (impôt). Cheikh Gaye d’indiquer que quand les soldats du roi ont trouvé le forgeron installé sur la montagne en train de travailler dans sa hutte, ils lui ont dit que le roi exige qu’il paye l’impôt. Très téméraire et ayant une forte confiance en sa puissance physique, il répondit sèchement aux émissaires du roi : « Allez dire à votre roi que je ne sais même pas qu’il a des dents de lait pour rire (Khaw ma né sakh Gnidiouna) » (cette phrase traduite en wolof aurait été prononcée en peulh selon d’autres versions). Les émissaires ont rendu compte au roi de Nder. Très remonté, ce dernier demanda à sa troupe de chercher des renforts et d’aller, avec d’autres chevaux, attacher le forgeron et l’amener séance tenante au palais. Arrivés sur les lieux une deuxième fois, les soldats encerclent le forgeron qui était resté calme, le piègent avec une corde et l’attachent. Mais tout puissant, ce dernier se redresse rompt toutes les cordes. Le forgeron réitère ses propos aux soldats. Ces derniers retournent à Nder et répètent le même message au roi, non sans lui dire qu’il les a tous vaincus.
Le roi, blessé dans son amour propre et hors de lui, dirige les opérations avec tous les soldats pour venir cueillir le forgeron. Arrivé sur le site à dos de cheval, le roi descend avec toute la prestance des souverains et va directement devant la hutte du forgeron. Mais constatant la force surnaturelle de ce dernier, le roi se rétracte et lance en direction de ses soldats : « Laissez-le ; s’il a suffisamment de moyens, il payera ses impôts ». Depuis ce jour, ce forgeron a eu l’autorisation de s’installer sur le site aux abords du Lac de Guiers et le nom de Gnith provenant de la fameuse phrase (Khaw ma né sakh Gnidiouna) est donné à son village.
Notre interlocuteur de confier, pouffant de rire comme savourant encore et encore cette victoire sans arme de leur ancêtre sur le roi, que compte tenu de cette histoire les descendants du forgeron fondateur du village ne payaient pas des impôts même après les indépendances.
Mais maintenant, pour bénéficier de certains avantages les forgerons du village, notamment la famille Thiam, les populations s’acquittent maintenant de ces obligations pour bénéficier des appuis de l’Etat, exigeant le quitus fiscal.
Selon sa version, le fondateur du village était toucouleur. Maintenant le village est habité par des Wolofs, des Peulhs et de Maures en majorité. Cependant, avec l’usine de traitement des eaux, Gnith reçoit maintenant pratiquement toutes les ethnies du pays avec les agents venus de partout. « L’usine a engendré une activité économique très importante et de nombreuses populations sont venues s’installer à Gnith », dit Cheikh Gaye, qui précise que toutes les ethnies vivent dans la cohésion aux bords du lac.
Le Soleil