Le code minier adopté en 2016 prévoit que 20 % des recettes provenant des opérations minières doivent être versés dans un fonds de péréquation et d’appui destiné aux collectivités territoriales. Cependant depuis la mise en place de ce fonds, l’Etat du Sénégal n’a versé aucun sous aux collectivités territoriales. Une situation regrettable que dénonce Demba Seydi, le Coordinateur régional Afrique de l’Ouest de PUBLIER CE QUE VOUS PAYER. Dans cet entretien, il revient sur la campagne lancée par cette Plateforme et les difficultés rencontrées …

C’est quoi Publier Ce Que Vous Payez ?

Publier Ce Que Vous Payez est un réseau d’organisation de la société civile qui œuvre dans la transparence et la bonne gouvernance des ressources naturelles, gazières et pétrolières. C’est une organisation qui est née depuis 2002 à travers une campagne dénommée Publiez Ce Que Vous Payez adressée à l’endroit des compagnies minières pour qu’elles puissent publier des informations financières relatives aux transactions qui sont menées entre les compagnies et les gouvernements qui accueillent. Nous sommes, aujourd’hui, à 700 organisations membres à travers le monde. Nous sommes présents dans tous les 5 continents et nous nous organisons en coalitions nationales. Nous sommes à 48 coalitions dans le monde.

Vous avez entamé au Sénégal une campagne de plaidoyer depuis quelques mois, est ce que vous sentez l’impact ?

La coalition Publiez Ce Que Vous Payez existe au Sénégal depuis quelques années à travers le réseau de toutes les organisations de la société civile qui œuvrent dans la gouvernance des industries extractives, étudiant tous les aspects de la chaîne de valeur, de la transparence des contrats, des droits de l’homme au développement local. Nous avons mené un certain nombre d’activités de plaidoyer et de campagne parmi lesquelles le plaidoyer pour la publication des contrats, aujourd’hui effectif, et peut être considérés comme un acquis à consolider.
Nous avons beaucoup travaillé pour l’apaisement des conflits entre les communautés qui étaient directement affectées par les opérations minières notamment dans les régions de Kédougou, de Matam et de Thiès. Nous avons réussi, à travers des cadres de concertation au niveau local, à apaiser les relations entre ces différents acteurs.
Nous avons aussi recommandé au Sénégal, à l’instar de plusieurs autres pays qui disposent de ressources naturelles, d’intégrer l’initiative pour la transparence dans la gestion des industries extractives appelée ITIE et cela a été un acquis matérialisé depuis 2012. C’est en 2011 que le Sénégal a adhéré. En 2012 cela a été matérialisé par la mise en place d’un secrétariat permanent et la nomination d’un coordonnateur national en la personne de Ismaila Madior FALL actuel Ministre de la justice qui a été remplacé à ce poste par Mankeur Ndiaye.

En dépit de la législation, est ce que les collectivités territoriales ont un leadership fort pour faire face aux grandes sociétés minières ?

Depuis le début nous nous sommes organisés en antenne régionale. Ce qui fait que dans toutes les régions du Sénégal où il y’a de l’exploitation ou exploration dans ce secteur là nous avons monté une antenne locale qui a son autonomie de fonctionnement. Ces antennes nous permettent de nous rapprocher davantage des communautés et des collectivités territoriales qui sont directement impactées. Il faut dire que les communautés affectées ou les collectivités territoriales où sont implantées ces sociétés ne parvenaient pas à voir la couleur de l’or alors qu’on en parlait comme principale ressource exploitée. Nous avons considéré qu’une partie des ressources mobilisées par l’Etat doit être retournées aux collectivités territoriales qui abritent ces sociétés et par conséquent aux communautés impactées. Aujourd’hui, sur le plan législatif, l’Etat du Sénégal a accepté le principe. Il a été matérialisé d’abord dans le code minier de 2003 ensuite dans le code de 2016. Ce qui fait qu’aujourd’hui 20% des recettes que l’Etat collecte devraient retourner aux collectivités territoriales. Ensuite nous avons réussi à intégrer dans le code un dispositif indiquant que 0,5% du chiffre d’affaire des compagnies doivent être affectés aux collectivités territoriales pour que celles-ci puissent au moins juguler les impacts négatifs qui ont été occasionnés par l’exploitation des ressources. Cependant, depuis 2010, date de signature du premier décret d’application aucun sous, aucun franc n’a été versé aux collectivités territoriales. Ce qui est très regrettable. Donc c’est ce qui motive aujourd’hui le fonds d’appui et de péréquation et du fonds d’appui au développement qui sont consacrés par la loi du Sénégal.

Lors de la concertation nationale sur la gestion des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz, le Président Macky Sall a annoncé qu’une part des recettes sera versée aux collectivités territoriales. Êtes-vous rassurés ?
Il y’a d’abord une déclaration du Président de la République qui précède celle-ci. C’était lors de la publication du rapport ITIE 2014 du Sénégal. Le Chef de l’Etat avait dit que c’est une justice, c’est une équité sociale de verser une partie des recettes minières à l’endroit des collectivités territoriales et que cela devait être opérationnel avant la sortie du rapport suivant. C’est-à-dire en 2015. Le rapport 2015 est sorti, le rapport 2016 est sorti. D’ici quelque temps nous aurons le rapport 2017 – 2019 et jusqu’à présent ce fonds-là n’est pas opérationnel. Si aujourd’hui le Président de la République pose le débat sur la gestion des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz, c’est louable. Mais nous pensons qu’avant de distribuer des recettes attendues d’ici 10 ans ou plus … il y’a des recettes déjà mobilisées, quantifiées et qui devraient être redistribuées d’abord. Donc nous considérons que la déclaration du Président de la république est louable, nous considérons qu’elle contribue davantage à rendre justice aux sénégalais mais toujours est-il que il y’a des ressources disponibles qui doivent être distribuées avant de parler de ressources non encore existantes.

Dans le cadre de votre campagne, quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Nous avons démarré notre campagne depuis le mois de février 2018. Nous avons ainsi pensé qu’avant la fin de l’année certaines de nos préoccupations allaient être prises en charges dans la loi de finance rectificatives. Malheureusement, c’est avec regret que nous constatons que la loi de finance rectificative n’a pas pris en compte le reversement par l’Etat aux collectivités territoriales des recettes collectées dans le cadre des exploitations minières. Il faut dire qu’à maintes reprises les autorités ont été sensibilisées sur cette nécessité-là. Vous avez suivi récemment la sortie de l’Association des maires du Sénégal (AMS) qui réclamaient son dû. Je crois que y’a déjà de l’argent disponible. C’est juste une question de volonté. Aujourd’hui si cet argent est versé, une commune comme Thiès aurait encaissé plus de 700 millions selon les calculs que nous avons faits sur la base des recettes déjà mobilisées par l’Etat du Sénégal. Donc je crois que c’est la bonne manière, à travers l’acte 3 de la décentralisation qui donne maintenant aux collectivités territoriales plus de pouvoir et d’autonomie de gestion, de pouvoir améliorer les finances des communes. Ce manque de volonté politique de l’Etat du Sénégal constitue la première difficulté de notre travail. Il faut également noter qu’il y’a des élus qui ne sont même pas au courant de l’existence de ces fonds qui leur appartiennent. Cela, aussi, constitue un réel problème. Nous faisons ce plaidoyer pour que le reversement des fonds aux collectivités territoriales soit effectif. Les exécutifs locaux doivent s’impliquer pour comprendre et exiger que ces fonds leur soient versés. L’autre aspect c’est que parfois, pour des considérations politiciennes, quand vous menez une campagne les gens pensent vous êtes contre le régime. Nous n’avons rien à voir avec la politique. Nous nous chargeons de mener notre mission qui consiste à protéger les intérêts des communautés.

Vous étiez à Matam la semaine dernière, quelle sera la prochaine étape de cette campagne ?

Matam est une région riche en phosphate, déjà en exploitation. Cependant elle reste encore la région la plus pauvre du Sénégal. Kédougou est une zone riche en fer, phosphate, en or surtout avec de nombreuses compagnies mais elle aussi reste parmi les régions les plus pauvres de ce pays. Nous considérons que tout ce que l’Etat du Sénégal mobilise dans l’exploitation minière devrait retourner à ces régions-là. Pour cela, nous avons considéré aller d’abord sensibiliser les autorités locales, administratives, les communautés, les leaders politiques et chefs traditionnels pour qu’ils maîtrisent davantage les enjeux de l’exploitation des ressources minières et naturelles. Nous avons commencé par Dakar, parce que Dakar constitue l’une des principales réserves minières. Ce que les sénégalais ignorent. Ensuite nous avions été à Thiès, Matam ce week end et dans les jours à venir nous allons nous rendre à Kédougou et Ziguinchor.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here