Près de 90% du lait vendu dans le secteur formel au Sénégal est importé, essentiellement sous forme de poudre. Pourtant 4 millions de personnes, principalement des Peuls, vivent traditionnellement de l’élevage et pourraient produire du lait. Le « lait » en poudre, qui inonde le marché sénégalais, est le plus souvent un mélange de poudre de lait écrémé et d’huiles végétales (de palme, de coco ou de coprah selon les préférences des consommateurs). Celui-ci est vendu à un prix défiant toute concurrence.
Les débuts de « La laiterie du Berger »

D’une mère française et d’un père sénégalais, Bagoré Bathily a grandi à Dakar jusqu’à son baccalauréat. Après avoir fait des études de vétérinaire à Liège, en Belgique, en 2006, Bagoré Bathily a l’idée de créer son entreprise de lait locale, afin de construire une industrie laitière dont un des objectifs serait d’améliorer les conditions de vie des éleveurs. « Une telle entreprise n’avait jamais été mise en place avant, encore moins dans une ville secondaire, avec du personnel jeune et local », nous explique-t-il.
Pourtant, le patron de l’usine imaginait très bien la finalité de son projet, motivé par le développement de l’élevage, ainsi que par la certitude de son impact positif sur les conditions de vie des éleveurs.
Il réunit des fonds grâce aux actionnaires sénégalais, mais aussi grâce aux actionnaires internationaux comme Danone Communities, le Crédit Agricole, I&P, etc. Le soutien de la société belge d’investissement pour les pays en développement (BIO) a, lui aussi, été crucial. C’est d’ailleurs grâce à ces fonds que l’entreprise a survécu. Car même si les produits sont innovants et correspondent à la demande des consommateurs et aux modes de distribution, la rentabilité n’a pas été au rendez-vous dès le début. Pourtant, Bagoré Bathily a tenu bon car il est « convaincu que ce qu’il entreprend est la meilleure chose à faire pour son pays. »
Le soutien de la société belge d’investissement pour les pays en développement (BIO) a, lui aussi, été crucial. C’est d’ailleurs grâce à ces fonds que l’entreprise a survécu.
Et à raison, car depuis 2017, la laiterie du Berger fait enfin des bénéfices. Son chiffre d’affaires s’élève à environ 10 millions d’euros aujourd’hui, avec une croissance de plus de 20% par an. Avec 350 employés et 500 fournisseurs, derrière lesquels se cachent encore 1200 personnes, Bagoré Bathily remplit déjà une partie de ses ambitions. Le modèle économique et de développement qu’il applique désormais dans l’entreprise est sûr, selon lui, et leur permet de vendre des produits accessibles, de créer de l’emploi, de développer l’élevage et l’entreprise dans une optique durable, responsable et sociale.
Les femmes
Les femmes sont les premières bénéficiaires de ce modèle d’entreprise. En effet, au Sénégal, « le lait, c’est une histoire de femmes » affirme Bagoré Bathily. Cela n’était pas valorisé, au contraire de la vente d’animaux qui est une affaire d’hommes. Aujourd’hui, beaucoup de femmes sont les fournisseurs attitrés de « la Laiterie du Berger ».
Dans l’entreprise, même si au début l’environnement était très masculin, les femmes ont pris place à des postes importants : gestion financière, service qualité ou même dans le Conseil d’Administration de l’entreprise.
Avec 350 employés et 500 fournisseurs, derrière lesquels se cachent encore 1200 personnes, Bagoré Bathily remplit déjà une partie de ses ambitions.

Entreprendre en Afrique : les difficultés et les solutions
« J’imaginais très bien la finalité de mon projet, mais j’étais loin d’imaginer les obstacles que j’allais rencontrer », nous explique le patron de la laiterie.
« Tout d’abord, il faut savoir que l’environnement sénégalais est peu propice au développement des PME. L’Etat étant le plus grand employeur du pays, l’augmentation du nombre de PME pourrait pourtant avoir un effet positif sur son économie. Cependant, le gouvernement n’a pas suffisamment de moyens pour investir dans des structures qui permettraient le développement des entreprises. Certes, « La laiterie du Berger » a une bonne image et a été promue, mais l’écoute et la capacité à régler les difficultés qui se présentent aux entrepreneurs manquent à l’appel. »
La filière laitière est relativement nouvelle et il n’existait que très peu de professionnels en lien avec la collecte du lait, avec l’industrie de transformation laitière ou avec la distribution et la chaine du froid. Ces deux facteurs ont aussi constitués un problème de taille. « J’ai moi-même dû apprendre ces métiers sur le tas tout en développant mes aptitudes de dirigeant d’entreprise ». En ce sens, en plus des apports en capital pour financer l’entreprise, Danone ainsi que le Crédit Agricole ont été d’une aide précieuse pour fournir l’assistance technique et la formation nécessaire à la montée en expertise de l’équipe.
La filière laitière est relativement nouvelle et il n’existait que très peu de professionnels en lien avec la collecte du lait, avec l’industrie de transformation laitière ou avec la distribution et la chaine du froid.

Le lait en poudre de l’UE
Face au lait en poudre de l’UE, il est en effet difficile de soutenir la compétition. « Pour comprendre ceci, il faut tenir compte du paysage sénégalais. », nous explique Bagoré Bathily. « Actuellement, les Sénégalais citadins consomment ce lait en poudre importé, tandis que les éleveurs nomades consomment leur propre lait. Le lait local exige d’être traité pour être commercialisé en ville. Cela implique énormément d’investissements, sans lesquels le lait local ne parvient pas jusqu’aux marchés. Les industriels locaux préfèrent dès lors souvent baser leur approvisionnement sur la poudre de lait importée, qui est plus bon marché. »
Cependant, des analyses montrent que ne pas commercialiser le lait local occasionne un important manque à gagner pour l’économie sénégalaise. La Laiterie du Berger cherche, dans ce contexte, des stratégies de valorisation du lait local, sur les segments où il peut être préféré au lait reconstitué. « La situation pourrait donc bouger en faveur du lait local. Il ne faut pas oublier que de nombreuses mini-entreprises se développent dans le pays. »
La Laiterie du Berger cherche, dans ce contexte, des stratégies de valorisation du lait local, sur les segments où il peut être préféré au lait reconstitué.
Des petits pas pour booster l’entrepreunariat
C’est en connaissant cette réalité du terrain qu’on comprend pourquoi des fonds comme I&P sont nécessaires. Investisseurs & Partenaires est un groupe « d’impact investing », entièrement dédié au continent africain, qui répond aux besoins des PME et les accompagne dans leurs projets.
Avec I&P, Bathily a compris l’impact et la puissance de l’accompagnement des entrepreneurs. Il a donc décidé de s’y impliquer lui-même, notamment via Enablis au Sénégal, dont il est président. Cette association peut apporter une méthodologie aux entrepreneurs et les aider à constituer un réseau. Elle constitue aujourd’hui un réseau de 300 entrepreneurs et a consolidé 5000 emplois.
Il désire également montrer une image de PME ouverte, en allant dans les universités, en rencontrant des jeunes, en engageant des stagiaires. A ses yeux, ceux-ci sont nécessaires : ils apprennent sur place à travailler et contribuent au fonctionnement de la société, ce qui est source de motivation.
Et dans 10 ans ?
La laiterie du Berger a mis 10 ans pour atteindre un équilibre financier. Elle a désormais fixé un modèle économique et d’impact social, et a atteint un niveau de rentabilité qui lui permet de financer sa croissance. Cela lui laisse l’opportunité de mettre tout en œuvre pour passer à l’échelle sur les mêmes bases.
Cela impliquera des passages de relais au niveau de l’équipe de direction, dans laquelle des jeunes professionnels talentueux préparent une relève, essentielle pour la pérennité de l’entreprise. La laiterie du Berger souhaite constituer un modèle « neuf », et proposer une alternative aux modèles traditionnels d’entreprises, lesquels ne correspondent sans doute plus aux codes de l’époque actuelle en Afrique de l’Ouest.
A terme, Bagoré Bathily souhaiterait se consacrer davantage au développement rural, qui permettra d’offrir une stabilité aux populations agricoles du Sénégal et du Sahel. Il espère revenir sur les idées des « fermes-pilotes », dont il parlait déjà en 2009.
Sophie Carreau/glo-be.be